Le monde merveilleux de Sociovore : Le pavillon des suicidés

Le pavillon des suicidés

Thème Ma tête à couper
Groupe d’écriture Les dissidents de la pleine lune.
Caractères None

Vivre avec un dépressif n'est pas toujours un long fleuve tranquille.
Si de surcroit il est suicidaire, il faut ruser de psychologie pour l'affranchir de ses pensées obscures.
Voilà le quotidien de nos deux colocataires, Gontran et Gontran.

Lorsque Gontran revient d'une journée de labeur, qu'il entend son chat Gontran miauler de famine et qu'il trouve son homonyme la tête coincée dans le four, il ne peut s'empêcher de s'exclamer "faudrait au moins l'allumer".
Gontran sort sa tête de la boîte en métal et dit "ah".
Si les fours électriques sont de piètres tortionnaires et que d'ordinaire on leur préfère la version au gaz, cette scène a le mérite de poser la question de fond: faut-il aider ces personnes à en finir, ou doit-on les forcer à s'accrocher à la vie, à retrouver le sourire ?
Gontran a sa petite idée.
"Si un jour tu veux être sérieux", lui dit-il, "à la cave, le fusil fonctionne".
Une réplique du fusil de Tchekov: charger en y mettant deux cartouches pour être certain de ne pas se louper, enfoncer le canon dans sa bouche et activer la gâchette avec le gros orteil.
"Ah", répond Gontran.
"Plastifie la pièce" qu'il rajoute exaspéré, "ça sera plus facile à nettoyer".
"Tu penses que j'irai au paradis ?"
"Toi oui" qu'il lui répond. Mais moi, avec les atrocités que j'écris, même le diable ne me voudra pas.

Un autre soir, alors que Gontran revient d'un moment de détente avec 18 mille de ses amis, il retrouve Gontran sur le bord de la fenêtre, debout, prêt à commettre l'incommétable.
De bon conseil, Gontran lui lance "fautdrait enlever la moustiquaire".
"Ah" qu'il répond.
Forcément… qui protège un chat protège aussi un Gontran.
Il redescend tout penaud.
Lorsque son pied frôle le sol, il glisse.
Sa tête se fracasse sur le radiateur, ça fait "Bong", il gueule "Aïe".
La main sur le front il se relève et s'en va au salon, moitié pantelant, moitié chancelant et s'écroule dans le canapé.
"Tu penses qu'on revient sur Terre, après ?" s'enquiert-il.
"Sûrement" lui répond Gontran.
Au même instant, Gontran fait le dos rond, hérisse ses poils et pousse un cri de persécuté. "Ça doit être l'esprit d'un Gontran !" s'exclame Gontran, après quoi il se lève pour préparer des popcorns.
Il met une série qui va amener un peu de baume au cœur de ce déprimé de Gontran, avec de la mafia et des femmes.
Après la première scène de carnage, il se bâfre d'une poignée de popcorns et dit la bouche comble "bah tu 'ois, la vie est pas si terrib' finalement".
S'il y a bien une chose à ne pas commettre en ce bas monde, c'est dire à un dépressif suicidaire de Gontran que la vie vaut la peine d'être vécue.
C'est pire, ça donne encore plus envie de la claquer.
Ce qu'il va apprendre à ses dépens.

Le lendemain, alors qu'il revient de sa séance de yoga des sinus, il salue son colocataire comme à l'accoutumée.
"Gontran ?"
Point de Gontran.
Seul Gontran miaule en guise de bonjour et de faim.
"Gontran ?" qu'il réitère.
Aucune réponse, mais un mot collé sur la TV: "Adieu et merci".
La cave !
Il y court !
De la lumière crache du pourtour de la porte.
Il l'ouvre et découvre Gontran assis comme un vase sur une chaise, un moignon de tête en guise de fleur.
La pièce est plastifiée, des morceaux de cervelles crépissent le mur.
Pour se faire exploser, il a utilisé un mécanisme rappelant celui des poulies. Un simple mouvement de jambe tire sur un fil qui passe entre les pieds de la chaise, s'en allant sur la gâchette de l'arme fixée à hauteur d'yeux.
"Quelle horreur", s'exclame-t-il.
Sous le choc, il s'approche de ce qu'il reste de Gontran pour le saluer sollennement une dernière fois.
Son pied se pose sur le fil.
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Image - Dan Donahue