La nouvelle séduction : de l'absurde à l'amour.

Un doigt de sensualité

Thème Les horizons perdus
Groupe d’écriture Les dissidents de la pleine lune.
Caractères 3548 / 3000

Pour trouver l’inspiration, il faut une fenêtre avec à l’intérieur un lac, des montagnes, quelques arbres et des animaux dedans.
Si malgré ça rien ne vient, laisser échapper sa rage aide à recouvrer la créativité.

En tout cas, lorsque je cumule les frustrations, RAA je chiffonne tout ce que j’ai sous la main et je lance par la fenêtre tout ce que j’ai chiffonné.
En bas, une poubelle béante récupère mes frasques émotionnelles.
J’avoue, je la loupe souvent… mais il y a un côté alternatif à passer dans ma rue jalonnée de boulettes de mots.

Pour ce texte-ci, seul le néant m’est venu, alors c’est la double rage qui m’envahit.
RAA j’ai chiffonné du papier, je l’ai balancé par la fenêtre et j’ai pris un autre truc qui traînait, mon cendrier avec les os de poulet du midi et RAA j’en ai fait une soucoupe volante.

À peine envoyée, j’entends « Aouuu ».
Oups.
Je dis « pardon ».
« Connard » ça hurle, « montre-toi si t’es un homme ».
Je lui dis que mon genre n’est pas mon sexe.
« Je saigne bordel, ouvre-moi » que me dit la voix, « et j’ai du poulet dans les cheveux ».
Oups.
Je me déplace vers l’interphone, 3e étage à gauche je lui dis et elle me répond « je sais ».

Quelques secondes plus tard, un pachyderme brutalise ma pauvre porte.
« Y’a une sonnette » que je râle et à peine j’ouvre, mon nez se ramasse un poing.
Sous le choc, je chute.
J’en fais même un peu des caisses, je roule, un tour, deux tours et j’hurle « aïaïaïïa ».
La voix me dit « oh ça va ».
Moi au sol, on croirait que j’ai mes règles, mais du nez.

Elle se dirige vers le lavabo de la cuisine pour se frotter le front avec un chiffon mouillé.
Elle aussi on croirait qu’elle a ses règles, mais du front.
Je lui dis qu’on est quitte maintenant, elle, sa bosse, moi, ma truffe.
Sur la cuisinière traine mon ciseau à poulet, elle le saisit « si tu te coupes le doigt » me le tend, « on sera quitte ».
Je le prends, je pose mon doigt potelé entre les deux lames et en léchant le sang qui dégouline dans ma bouche je lui demande « après ça on fait l’amour ? »
« J’ai un pénis entre les jambes » qu’elle me répond.
« Ça tombe bien », je reprends, « moi aussi ».
Vient le moment de fermer les yeux, serrer les lèvres. Je fais même un petit bruit « hiii » pour montrer que ça va faire mal et je fais semblant d’appuyer sur le ciseau.
« C’est bon », elle le récupère, « de toute manière, t’as tout d’une chochotte », puis elle se dirige vers la fenêtre, celle qui m’inspire.
Elle me dit que c’est joli chez moi en pointant du doigt, « c’est quoi ça là-bas ? »
Un distributeur à seringues je lui réponds en suçant ma lèvre.
« Mais non, la montagne à l’horizon ».
Ah ça… Au hasard, c’est le Mont Tonson qui me vient. Je lui dis si tu veux, on prend mon vélo, on s’enfuit au loin, jusqu’à s’y perdre tous les deux comme des amoureux heureux.
« Sérieux ? » elle me demande la voix bizarre, « il y a eu balancetonporc, metoo, la grève des femmes et tu me sors le plan du vieux romantique italien ? »
Y’a trois ans ça marchait encore.
« Faut évoluer » qu’elle me dit. Elle se dirige vers ma pauvre porte, l’ouvre « t’es aussi banal que tous les autres », puis la claque derrière elle.
Je dis MAIS C’EST MÊME PAS VRAI.
Et je gueule, hééé.
Je vais chercher le ciseau à poulet, je me mets au bord de la fenêtre.
Au moment où elle sort, je regueule « hééééééé regarde », je prends mon doigt, le pose entre les lames, me lèche tout ce qui coule, serre les lèvres, ferme les yeux, me concentre et à l’instant d’après la gravité du trottoir s’empare de mon bout de doigt.
Presque pas mal.
Mais ça picote.
Son visage s’illumine, « ton vélo » elle me demande, « tu l’as parqué où ? »