Conte courant

« Je vais tous vous buter, toi, ta femme, ta mère, ta fille », il se lève et plante le couteau dans la table, « ton caniche, je vais l’empaler sur le tuteur du rosier, il sera tellement embroché ton caniche, qu’on verra ressortir le piquet par sa gueu… »
« Wohoho », interrompt la présidente, « tu nous fais quoi là ? »
« Bein des règlements de compte, vous avez dit ».
C’est comme ça que les workshops d’écriture se déroulent habituellement. Lui, c’est Micho. Un excentrique, un peu con, mais pas méchant. À chaque fois il nous fait le coup du couteau, la table est foutue.
« Dérèglement… du verbe dérégler », qu’on lui dit. Il quitte sa chaise, ramasse sa lame, « vous êtes jamais contents ici de toute manière », avant de rajouter « je vais me chercher un truc à manger. Quelqu’un veut une tartiflette ? », il balaie la salle du regard, « ou une biflette ? »
Toutes les filles lèvent les yeux au plafond.
Micho est aussi un peu lourdaud parfois. Il s’en va.
C’est autour de cette table que l’on recherche en groupe, l’idée suprême. Celle qui va faire parler d’elle pendant des millénaires, voire celle qui va détrôner l’histoire de Jésus et les 12 nains.
« Alors, alors, alors, moi, moi, moi, j’ai pensé à un quelqu’un qui compte », lui, il n’est pas habitué à ce qu’un humain l’écoute. Lorsque ça arrive, il perd ses moyens, « alors il compte, mais il compte faux, alors il dit un, et pis ensuite, il dit trois, ou sept ». Après ça, il nous regarde, « c’est cool hein, hein, hein dit que oui ? »
On le complimente. Il est content, on est content, en plus on a l’impression de faire la B.A de l’année.
La suivante nous dévoile sa créativité :
« Voyez-vous, je pensais à un vicomte pédéraste. Le vicomte de Mongropiston par exemple », quand elle parle, elle caresse cette joue rendue si parfaite par le chirurgien, « éperdu de folie, voyez-vous, il se met à commanditer le massacre des hétérosexuels de sa vicomté, voyez-vous, afin de les utiliser comme engrais pour son potager, voyez-vous ».
Y’a de l’idée… dyscalculie, génocide, manque plus qu’un poil de lubricité pour que l’on soit certain de l’obtenir, ce Goncourt.
Micho ouvre la porte avec le pied, un énorme carton entre les mains. Dans ce carton, une tiflette rutilante de lardons nous éblouit l’estomac.
Alors on goute.
Le fromage est acidulé. Très acidulé.
Mais quand on a faim, tout devient festin.
Et on continue notre séance.
Cependant, au bout d’un moment, quelqu’un dit « quelque chose à dû mal passer », on le voit se lever et courir bizarre. C’est vrai, quelque chose a dû mal passer, parce qu’on a tous envie de courir bizarre. TOUS.
Micho se met à rire comme un vieux phoque qui s’étouffe, « un dérèglement intestinal pour tous, je suis dans le thème cette fois ? » on se regarde, sans un mot, mais avec des coliques.
Il est bien fier de sa connerie, le Micho. Il ajoute, « une bonne histoire, c’est comme une bonne chiasse : ça doit être fluide et ça doit retourner l’estomac ».

On vous laisse, parce que pour l’occasion, l’histoire a été un peu trop bonne…

À bientôt.