Une histoire qui tranche, ou comment tuer son voisin le baiseur.

Une histoire qui tranche

Thème Une gueule de vermicelle pour voisin
Groupe d’écriture Les dissidents de la pleine lune.
Caractères 3800 / 3000

C’est l’histoire d’un gus, qui prépare son crime.
Si on était dans sa tête de Gus, on pourrait entendre « personne ne m’aime, personne ne me remarque, suis pourri, un insignifiant » ou encore « une merde tellurique ».
Quand il est au plus bas, il en veut même à ses parents, car à choisir, il n’aurait jamais foutu les pieds sur Terre.
Alors pour remplir son cœur de dopamine, il se vide l’esprit plusieurs fois par jour devant LuxureTV, si bien qu’il a développé un psoriasis aux endroits les plus frottés de son corps.
Et forcément, lorsqu’à travers les murs il entend que plein de femmes hurlent de plaisir avec son voisin, il se dit « il va payer ».
Ètre triste à souhait donne droit de tuer.

Pour préparer son plan, il arpente la cuisine à la recherche d’un couteau pointu et tranchant, celui qu’il utilise pour couper son jambon cuit du dimanche.
Il se dit qu’avec cet outil, il n’aurait qu’à sonner et laisser déchainer sa fantaisie au bout de sa main gangrénée.

Il aurait pu réfléchir davantage, en fignolant son abatage tout en accouchant d’un alibi.
Par exemple en empoisonnant les commissions que son voisin commande, avec de la toxine botulique, la même que l’on flanque dans la tronche de ceux qui cherchent à cacher leur décrépitude.
Ou en mettant une balle de pistolet sous son paillasson, pointée vers le haut. Un 5mm qui éclaterait lorsqu’il marcherait dessus, lui remontant ainsi dans la jambe.
Ou simplement graisser les escaliers, avec de l'huile de cacahuète. Toujours pressé, c’est le fracas assuré.
Ou… ou… faire exploser la batterie lithium-ion de son vélo électrique : un simple court-circuit enverrait ses roupettes en orbite et par la même occasion, lui garantirait le « silence des murs » éternel.
Toutes ces réflexions, il aurait pu les avoir s’il ne se sabotait pas à coup de « suis nul », s’il croyait un peu plus en lui.
Il prend tout de même son courage à deux mains pourries, en s’approchant de la porte du voisin, le long couteau à jambon cuit du dimanche dans la pogne.
Il sonne, se dépêche de poser la main sur le judas pour cacher son animosité.
Mais on entend « un petit instant, je suis sous la douche ».
Alors il doit garder la pose.
Il doit garder la main sur le judas.
Il doit sentir l’odeur de chien mouillé et de sardine grillée qui embaument le couloir.
Il doit écouter le gosse du dessous qui enchaine les crises d’hystérie.
Il doit admirer ce paillasson si accueillant « home sweet home » et cette pancarte de porte si aimable « ici c’est la demeure de l’amour ».
Pour ne pas succomber à ces affableries, il utilise la méthode Coué, la même que l’on a vue sur les balcons au plus fort du confinement, qui disait « tout ira bien ».
Sauf que pour Gus, le bien c’est le mal…
Alors pour garder sa rage, il serre les dents, et les poings, et les fesses, et stimule son enthousiasme à coups de ritournelle « je vais en faire du vermicelle de ce voisin » et de plus belle, « je vais en faire du vermicelle de çuilà ».
Au travers de la porte, on entend « J’arrive », puis les flops flops flops des pantoufles sur le plancher.
Alors que la clé tourne, Gus lève sa dague assez haut pour se renifler les aisselles et au moment où la porte s’ouvre, on entend un « haaaaaa » de combat qui vient des trippes, qui vient du cœur et se met à donner des coups n’importe comment devant lui.
Mais le voisin se retire et dans son élan Gus trébuche.
Au moment de toucher le sol, le couteau se retourne, lui transperce la gorge pour ressortir par la nuque.
L’arroseur arrosé.
L’arrosé, empalé.

Qu’en conclure ?
Que le bien triomphe toujours du mal.
Du moins dans les histoires de gringos.
Mais comme celle-ci est loin d’en être une, il incombe de redonner la réplique finale au voisin :
« Ce Gus était tellement prévisible », qu’il dit, « que le tuer fut un véritable jeu d’enfant »