Si le développement personnel vous casse les pieds: ce texte est pour vous.

Plus fort, plus fier, plus froid.

Thème La veste oubliée
Groupe d’écriture Les dissidents de la pleine lune.
Caractères env. 3100 / 3000

Depuis quelques années, un phénomène frappe de plein fouet notre société. Une perpétuelle envie de se surpasser, une insatiable volonté à repousser ses limites personnelles.
Le but ?
Devenir une meilleure version de soi-même, si l’on en croit ces théories.
Nous avons rencontré un aventurier du froid, quelqu’un qui a décidé de tout plaquer le temps d’une semaine, pour exposer son corps à des températures extrêmes, dénué de tout habit.
Enfin, juste une culotte.

Résister au froid extrême, pour bien du monde cela s’apparente à de la torture. Qu’est-ce qui vous a poussé à entreprendre une pareille démarche ?
Écoutez, je suis dans une période charnière de ma vie. J’ai voulu me rendre compte de ce dont j’étais réellement capable tout au fond de moi en sortant de ma zone de confort. C’est ainsi que pour seulement 5000 $, j’ai rejoint OTC, pour cette expérience unique dont je me souviendrai à tout jamais la vie.

Que veut dire OTC et quel en est son concept ?
Écoutez, OTC veut dire Olvida Tu Chaqueta.
OTC ne se traduit pas et OTC est bien plus qu’un simple acronyme. OTC est une façon d’affronter le monde, de donner le meilleur de soi-même et de trouver un véritable sens à sa vie. OTC, c’est une semaine de formation avant d’escalader une montagne. La difficulté d’OTC réside dans le fait que cela se déroule en plein hiver, nippé d’un humble boxer, les pieds plantés dans le blanc manteau.

Comment se passe la préparation ?
Écoutez, le premier jour, nous sommes accueillis par El Patrón dans sa villa aux trois cents statues. Le séminaire débute par une initiation à la bonne respiration, qui est une respiration transcendantale, permettant de se déverrouiller quasiment tous les chakras.
Respirer, expirer.
Dedans, dehors.
Nous prenons alors conscience de notre propre corps, qu’il n’est pas que carapace de l’âme ou ramassis d’organes, mais qu’il est notre ami pour la vie.
Dans un deuxième temps, nous travaillons sur le froid. El frio, comme l’appelle El Patrón. Nous nous asseyons en tailleur dans un énorme congélateur, pour respirer, expirer, dedans, dehors. Là, nous cherchons, mais surtout trouvons un point au fond de nous, El termostato, une zone qui permet de désactiver la cryosensation.

Pouvez-vous nous expliquer votre ascension ?
Écoutez, avant le départ El Patrón scinde les membres en deux groupes : le groupe de Los animales et le groupe de Los vegetales. Munis de notre libre arbitre nous choisissons dans lequel nous voulons évoluer. Le groupe de Los animales fait l’ascension de la montagne avec un petit mouton tandis que le groupe de Los vegetales, avec des choux.
Moi, j’ai choisi choux.
À mi-chemin, les groupes sont séparés et chacun emprunte un dissemblable chemin.
Une fois au sommet, le froid est tel que redescendre sans protection serait digne d’une insanité divine.
Alors le petit mouton est sacrifié, son cuir récupéré.
La peau encore chaude, l’homme est ainsi reconnecté à l’animal.
Quant à nous, nous faisons de même avec les choux. Ils sont dépiautés, feuille par feuille, puis appliqués sur notre peau, feuille par feuille.
L’homme est ainsi reconnecté à la nature.

N’est-ce pas païen, voire barbare de sacrifier un animal ?
Écoutez, païen, barbare, on ne peut pas dire que vous lésiniez sur les mots. El Patrón est clair : les gens remplis de convictions, comme vous paraissez l’être, sont dangereux, car ils ont de gros problèmes avec l’altérité.
Vous savez, ce qui choque aujourd’hui ne choquait pas à l’époque. Par exemple, les Mayas ou les Aztèques sacrifiaient leurs enfants pour nourrir les dieux afin de maintenir un certain équilibre cosmique. Vous n’allez pas comparer un génocide infantile à un petit méchoui sur une cime enneigée tout de même ?

Cette réponse a le mérite d’être claire. Recentrons-nous à présent sur le débat, pour revenir sur votre expérience. Pouvez-vous nous expliquer l’effet qu’a le froid sur la troupe ? Avez-vous remarqué des comportements atypiques, anormaux, extraordinaires ?
Écoutez, l’ascension de cette montagne nous met effectivement dans un état second.
Je n’ai jamais été mort, mais ça doit y ressembler à bien des égards.
Pour donner quelques chiffres, au sommet les températures avoisinent les -15 °C, avec un vent de cime entre 10 et 250 km/h, la température ressentie avoisine les -70 °C.
C’est l’opposé du sauna.

Nous sommes donc partis de nuit et revenus de nuit. Lors de la promenade, le corps est très vite passé en mode survie et afin d’économiser de précieuses calories, les extrémités (doigts, orteils, nez, etc.) ont congelé.
Alors que les rais de l’aurore léchaient nos épidermes rosés, une personne s’est mise à convulser. Mais à ce moment-là, tout le groupe s’est rapproché d’elle pour la réchauffer et l’encourager, certains ont même collé leurs pectoraux pour faciliter le transfert thermique et apporter du baume à ses palpitations.
Cela prouve que l’être humain, dans la suprême difficulté, est de nature altruiste.
Une fois au sommet, tout le monde a exsudé sa joie, fier devant ce challenge qui paraissait insurmontable quelques heures plus tôt.
Là nous nous sommes pris dans les bras, nous avons sautillé dans la neige, nous avons joué avec nos feuilles de chou, nous avons hurlé dans notre langue et avons laissé s’exprimer toute cette partie refoulée au fond de nous, sans gêne ni stupeur. Dans la vallée, on pouvait même deviner l’autre groupe, avec les cris des moutons qui se faisaient égorger. Sous l’euphorie, ce bruit est devenu en quelque sorte notre sérénade de béatitude.

On imagine que pareille expérience tisse de forts liens entre les participants. Vous êtes vous fait des amis ?
Écoutez, c’est une expérience que je souhaite sincèrement à tout le monde. On ne peut pas s’imaginer combien la connexion à autrui est puissante et intense. J’ai envie de dire si vous me le permettez, que c’était un peu comme une bonne partie de gaudriole entre copains, la chlamydia en moins.
Quand vous partagez des moments si intenses avec des inconnus, ils deviennent connus. Aujourd’hui je peux même l’affirmer, ce sont de véritables amis.

Allez-vous donc les revoir ?
Écoutez, non.

Merci pour ce retour d’expérience. Est-ce que ça vous a donné envie de continuer à vous surpasser, à pratiquer d’autres activités, à rencontrer de nouvelles personnes ?
Écoutez, totalement. Je pense que quand on a décidé de devenir quelqu’un de meilleur, il ne faut pas s’arrêter en cours de route. Sinon on devient juste «   un peu meilleur ».
Tout prochainement, je participerai à une formation où l’on va apprendre à gagner sa vie en ne travaillant que 2 min 51 s par semaine. On en a tous marre de cette rat life, donc c’est le moment de reprendre les rênes de sa vie, ou le taureau par les cornes. Je crois que je préfère l’image du taureau, il est beaucoup plus alpha que le renne, même si bien souvent son existence s’achève par une estocade.
C’est la vie.
La formation est un peu plus chère (15 000 $), mais je pense que le retour sur investissement en vaut définitivement la peine.

Nous vous souhaitons bien du succès pour votre continuation.
Écoutez, merci.
Je vous en prie.

Le mois prochain, nous mélangerons grivoiserie et technologie dans notre dossier « Instagram, une invention chrétienne ? »
Les philosophes de la rédac’ feront un parallèle entre société du paraître et religion du pauvre.
Mais en attendant, toute l’équipe vous souhaite un printemps fleuri de bonheur.