La censure de Facebook: je l'ai testée pour vous.

Censurez-moi, j'adore ça.

Texte censuré par Facebook.
Ok, la première phrase n'est pas flatteuse.
Pour eux.


De là à dire que nous sommes tous les pu*** de Facebook, il n’y aurait qu’un pas.
Il me fait remarquer que ça fait longtemps que je n’ai rien posté. Un reminder qu’il appelle ça.
Il me conseille de raconter une histoire, pour engager les followers, pour pas qu’ils se barrent et aillent voir ailleurs.
Prêts ? C’est un bout de jeunesse que je m’apprête à vous dévoiler.

Il y a quelques années, alors que j’étais encore jeune, beau et ignare, je travaillais au McDo pour payer mes études.
À cette époque, les hormones étaient hautes, hautes, hautes et c’était la mode de ce qu’on appelait « The Game », la drague à l’amerloque.
On draguait tout ce qui bougeait, tout le temps, partout. De la maman, de la vieille, de la coug, de la caissière, mais pas de l’enfant, parce que c’est interdit par la loi. On avait des gueules accidentées, mais aussi très envie de niquer et pour y arriver, on était décidés à étudier n’importe quoi.
Surtout de la psycho pour comprendre comment une femme fonctionne, comment ça pense et comment parfois ça réfléchit. Oh ça va, laissez-moi faire une blaguounette sexiste.
On tapait même dans les domaines les plus variés et controversés, comme la PNL ou le neuromarketing.
Dans le tas de bizarreries, y’a eu l’hypnose de rue. Maintenant c’est galvaudé, on le voit partout, mais à l’époque personne connaissait. Vous stoppiez une nana dans la rue, vous lui disiez un truc du genre « vais t’hypnotiser, tu veux test ? », elle disait « oh oui, oh oui », pis bam, avec de la confiance dans la voix et quelques mots de qualité, elle était complètement transportée.
Je fais soft ici, on est sur Facebook, mais super souvent elles revenaient de transe en me disant « c’était trop bon », puis elles se pinçaient les lèvres et me soufflaient discretos dans l’oreille, « je suis trempée ».
Tu crois que ça faisait quoi une pareille phrase au pourceau que j’étais ? Bein ça me lubrifiait l’estime ! Pis ça me faisait aussi mal à la fermeture éclaire, mouhahaha.
À ce moment-là, je leur disais « viens me voir au McDo un de ces quatre ».
Et elles venaient. Parce que c’était ça qu’elles voulaient, une bonne expérience de drague, sans que le mec tombe amoureux, sans qu’il chiale dès qu’elles s’éloignent un peu trop longtemps. Y’a pas plus collant qu’un mec éperdu d’amour.
Michèle, Julie, Elisa, Moma… Je leur filais un McFlurry, on pouvait en offrir sans que le chef s’en aperçoive 8).
Le gars qui servait avec moi, il me demandait comment je connaissais autant de filles si « mimi ».
À l’église, je lui répondis tranquillou.
« Mais oui ? » il me demanda avec la bouche ouverte, un chewing-gum dedans.
« Mais non… Hypnose de rue. »
« Ah », me dit-il en mâchouillant son morceau de plastique, « l’hypnose c’est pour les fous ».

Une fois pour me remercier, une cousine m’a fait un bisou tellement sexy sur la joue. Avec la langue. Je sais pas s’il a fait une crise de jalousie, mais suite à ça, il m’a dit « hypnose-moi pour voir », parce que ça peut pas si bien marcher, pas autant.
Alors je lui dis OK.
Il faut savoir que j’aime pas hypnotiser les hommes. C’est chiant un homme. Une femme, vous lui demandez d’imaginer quelque chose qui lui fait trop plaisir, elle va parler d’un truc chou, une licorne rose, un petit éléphant… C’est souvent des petits animaux avec les filles. Mais un gars… Un truc qui lui fait plaisir ? Il vous sort un joueur de foot…
Bref, l’hypnose on la fait en plein milieu d’aprèms, après le « gros service », quand il n’y a plus un rat dans le resto.
Vite fait, je vous explique comment ça marche une hypnose.
D’abord, on commence par un « test de réceptivité », pour détendre le sujet et tester s’il est réceptif. Souvent, on lui fait se toucher les doigts ensemble. Je vous montrerais bien comment on fait, mais au final on s’en fout un peu.
Chez lui, la réceptivité passe TELLEMENT BIEN ! Genre on dirait qu’il est né pour se faire hypnotiser la tête.
Je continue.
Vous avez sûrement déjà entendu les phrases alambiquées propres à l’hypnose. Ça donne ça : « Tu te sens léger, léger, comme si tu flottais sur un nuage de guimauve et tu peux fermer les yeux si tu as envie », on appelle ça une suggestion. On dit « tu peux fermer » au lieu de « ferme ». Suggérer plutôt qu’ordonner, c’est plus doux et ça fonctionne tout aussi bien.
Lorsque la personne est en état modifié de conscience (c’est le terme compliqué pour « hypnotisé »), on le voit : la paupière palpite comme un poissonou qui suffoque. Lors de cette phase, le péquenaud est extrêmement réceptif. Par exemple, vous pouvez exécuter une manœuvre qui s’appelle « le bouton du rire » : on appuie quelque part sur son corps, le nez, la bite, et il se met à rire comme un zouave. De toute manière, ça fonctionne toujours le « bouton du rire ». Notre génération, on serait prêt à aller jusqu’à crever pour être un peu plus heureux.
Lui n’échappe pas à l’exception, à peine l’épaule effleurée qu’il se pisse dessus.
Vu que tout marche si bien, je me dis qu’on peut aller plus loin. Je lui propose « La supère suggestion ». Avec ça, si l’hypnotisé accepte, il vous donne le plein pouvoir sur son corps.
Parfois j’appelle ça le GHB du pauvre :).
Alors je lui demande de bouger la tête s’il est d’accord de devenir une extension de moi.
Il bouge la tête. Avec ce hochement, je suis tout Wouhou, car c’est la première fois que je teste ça sur un homme.
Mais avant de continuer, des garde-fous doivent être placés. « Si à un moment tu devais ressentir une gêne ou une douleur quelconque, tu hurles et on arrête immédiatement l’expérience », je lui dis, « si tu es d’accord, secoue la tête ».
Il secoue la tête.
À ce point, y’a plus qu’à laisser se déchaîner sa créativité.
D’abord il se prend pour Jésus-Christ, ensuite c’est jour de joie à l’Euromilion et enfin je lui fais faire le grand écart, couilles au sol.
Mais au bout d’un moment, je m’ennuie. M’ennuie toujours avec les hommes…
On se déplace dans la cuisine, derrière les toboggans à burgers. Je le fais jouer avec la nourriture.
Je sais, c’est vilain et faut pas faire, mais c’est drôlement drôle.
On avait toujours quelques produits de base, au cas où on devait rafistoler un Nugget estropié ou un filet-o-fish amoché. En tout cas à l’époque c’était comme ça.
« Et la farine, c’est de la neige », et il s’en met sur les cheveux, « et les œufs c’est des bombes à eau », et il les jette contre les murs.
Une fois la cuisine transformée en pétaudière, je lui fais ramasser ses velléités. Et lécher ce qui reste. De toute manière, il ne se souviendra de rien.
Dans tous les McDo du monde, il y a toujours un bruit qui énerve les tympans. C’est les « Bipbips » des friteuses.
Idée géniale.
« Maintenant on va faire un jacuzzi pour les mains », je lui dis, « et tu vas te sentir bien, bien, tellement bien, jamais tu ne te seras senti aussi bien de ta vie ».
Il se déplace vers la friteuse et y glisse les mains.
Je lui répète pour le maintenir en transe dans l’huile, « tu te sens bien, tellement bien… » et sur son visage, ce sourire de bien-être.
Entre vous et moi, si on opère sous hypnose, on peut aussi frire sous hypnose.
Vous savez pourquoi ça bipe tout le temps dans un McDo ? C’est pour dire que la friture est cuite, qu’il est temps de retirer le panier. On est alors au paroxysme de la réaction de Maillard, pour de la frite y’a pas plus crunchy.
Après quelques semaines que vous travaillez au McDo, quand ça bipe, vous ne réfléchissez plus, vous sortez les paniers.
On est les chiens de Pavlov de l’industrie du fast-food.
Alors quand ça bipe, il sort ses mains de l’huile. Elles sont bien dorées, la farine et l’œuf ont fait une croûte uniforme, c’est moins pire que ce que je pensais. Pour tout vous avouer, si ce n’était pas des mains, ça pourrait même m’ouvrir l’appétit. Quant à lui, il me regarde avec cet air de ravi de la croûte, smile en coin, on croirait qu’il jouit un peu.
Ma mère m’a toujours dit « frire rend n’importe quoi délicieux ». Je lui répète exactement ça, « tout ce que tu fris est délicieux, alors tu vas apprécier ton repas de toi, et apprécier, et apprécier ». Il dirige sa main vers sa bouche, il ouvre et croque dans la partie inférieure de l’index. Zéro sang. Il a dû coaguler avec la chaleur. Il se mange, comme on mange une brochette de poulet, en tirant dessus à pleine mâchoire.
La troisième phalange renferme son petit lot de fibres musculaires.
Il croche sur l’os, alors il ronge autour. À la fin, il regarde sa main, avec son doigt épluché, mais avec l’ongle au bout. Ça me fait penser à une queue de caniche.
Ensuite, il recommence.
Différent doigt, même phalange.
Mais d’un coup, alors qu’il tiraille sur son bout de couenne, il se met à hurler. Putain ce qu’il hurle fort, on dirait qu’on est en train d’écorcher un cochon dans ce McDo.
Attends, il hurle tellement fort qu’il me fait peur, moi aussi je me mets à hurler. On se retrouve les deux à brailler comme des animaux sauvages entre la cuisine et les caisses.
Une des rares clientes accourt. Quand elle voit les bouts d’os de l’autre qui prennent l’air, elle s’évanouit. C’est le capharnaüm général, plus personne ne comprend plus rien.
Lorsque je commence à hyperventiler, une ambulance se parque sur le trottoir et deux baraqués embarquent le dépecé qui hurle encore avec ses doigts accrochés à ses dents.
J’apporte un verre d’eau à la fille qui a tourné de l’oeil.
La pauvre.

Je crois que ce jour-là a été l’un des plus tarés de ma vie.
Suite à cet évènement, mon collègue s’est fait amputer des deux mains. Mais juste derrière le poignet, donc ça va.
Les médecins n’ont jamais compris ce qui a disjoncté dans son cerveau et ce qui l’a amené à se cannibaliser les phalanges.
Je n’ai jamais rien dit, quel intérêt ?

Au final, tout est rentré dans l’ordre. Nos vies ont continué, avec leurs écueils et leurs fanfaronnades. De mon côté, j’ai passé mes études, non sans peine, mais passé quand même.
Le papier pour montrer que l’on sait se conformer.
Quant à lui… Vous croyiez que pas de main allait rimer avec pas de nana ?
Faux.
Suffit de lui demander, il vous répondra que deux ronds moignons procurent deux fois plus de sensations.