Le monde merveilleux de Sociovore : Dissident jusqu'à la moelle militaire

Dissident jusqu'à la moelle militaire

Thème J'arriverai par l'ascenseur de 22:43
Groupe d’écriture Les dissidents de la pleine lune.
Caractères 3188 / 3000

Avant-propos vernaculaire, pour le non-Suisse :

La Confédération helvétique se partage en quatre régions linguistiques. Les Latins, minoritaires (francophones, italophones et romanches), qui sont souvent de connivence contre le grand-méchant Suisse-alémanique. Le cliché populaire veut que le suisse-allemand soit la langue de l’ordre et de la rigueur, tandis que le français, celle du relâchement, de la bella vita. Les francophones répondent au nom poétique de « Welschs », et les Suisses-alémaniques, à celui de « totos ou bourbines ».

En Helvétie, le service militaire est encore obligatoire, ce qui donne l’occasion de mélanger les cultures locales sous les couleurs du drapeau. Ainsi, Suisse-alémaniques se mettent à parler un français créole et les Welschs, fidèles à leur réputation, ne font aucun effort pour essayer de radoter dans la langue de Goethe.

Ici, la mimologie de l’officier militaire est poussée à son paroxysme. Tous n’ont pas cet accent et bien que ce texte ne porte pas au pinacles nos compatriotes, il en va de soi : nous les aimons nos totos.

En espérant que ce prélude vous sera utile pour la compréhension de ce clafoutis verbal, mais ô combien local, qui s’ensuit.

Bien à vous,

Sociovore

 

 

 

Tout le monde se tient droit, les mains cachées derrière son dos.
« Rendez-fous à 22:30 prézise », hurle-t-il sur ses strumpfs verts, ordonnés du plus petit au plus grand, du plus freluquet au plus foutriquet.
« Je viendrai à 22:40 », crie un individu moyennement grand.
« Qui a ozé parler ? »
Il sort du troupeau d’hommes de Panurge, se met devant ses camarades, « moi ».

Le commandant de bataillon s’approche de lui. La visière de sa casquette qui arrive au niveau du nez l’oblige à regarder les gens de haut, « qui êtes-fous ? »
« Soldat Dupont », crie le soldat Dupont, les mains toujours derrière le dos.
« Ecoutez-moi soldat Dupont… », à ce moment-là toute la compagnie crie « présent », car par souci de conformisme, toute la compagnie s’appelle Dupont, « …fous n’êtes pas izi pour questionner la Autorität ».
« Ah non ? Pourquoi donc ? »
« Car c’est comme za que cela fonctionne », puis il rajoute, « izi, ce n’est pas la damocrAZI, le seul droit que fous avoir, c’est d’exécute und ferme la bouche ».
« Je vais fermer la bouche, mais avant expliquez-moi tout de même quelque chose… »
« Was wollen Sie wissen ? »
« Comment, oh grand Seigneur doux et miséricordieux, peut-on respecter un cul-terreux, qui n’a pour unique et seule autorité », dit-il, « qu’un clinquant grade accroché par un velcro à son uniforme ? »
De-ci, de-là, on entend des chuchotements, « dai Duponi, siamo con té » ou encore, « fous-lui une branlée à c’trouduc ».
Le bien gradé prend un air d’intelligence : sa figure fait penser à celle qu’il aurait lorsqu’il contracte à pleine puissance ses sphincters, pour se décharger de sa viande de singe, Fleischkäse et raviolis en boîte, dont il s’est empiffré six heures auparavant.
« Was haben Sie gesagt ? » les postillons qui s’expulsent de la bouche du prétorien se dispersent sur le visage de Dupont, telle une douce bruine printanière, l’acidité de la domination en plus.
« Rien du tout », répond-il. Il regarde autour de lui, « avez-vous entendu quelque chose mes camarades ? »
Les autres Dupont agitent la tête de gauche à droite, le signe universel pour dire « on t’emmerde bien profond, caporal ».
Le commandant international enlève son galurin et le broie entre ses mains, « NEIN, NEIN, NEIN Inzolant ! Izi on fous apprend à devenir des hommes », avant de rajouter, « on fous forme au monde de l’entreprise, suivre les ordres », il devient rouge-écarlate-rubicond-cramoisi, « NEIN, rangez-fous et arrêtez de remettre en question ce qui marche bien. Suivez die Befehlen », frémit-il de la gueule sur une faconde digne du IIIème Reich.
« D’accord mon maître », acquiesce le soldat en faisant une courbette.
Il se retourne et s’éloigne, « Si fous n’êtes pas au point de rendez-fous à 22:30, ça va parder… », dit-il, « …la prizon, Gefängnis ».
De ces onze mille verges, plus aucune n’ose bouger à présent, comme si la peur a fait ce qu’elle sait le mieux faire, c’est-à-dire pétrifier ceux qu’elle a rendus serviles.

Ce soir-là, il arrive à 22:43 par l’ascenseur qui mène au point de rendez-vous. Mais quand les portes s’ouvrent, Dupont n’est pas seul à se tenir érigé et mal fagoté, le regard triomphant. Non, il n’est pas seul : derrière lui, tout un régiment d’hommes le suit.